Samis, Tamouls, Barawanis et Kabyles ont leur Coupe du monde à Londres
Sur la pelouse du stade de Bromley banlieue aisee au sud de Londres une petite fille est assise en tailleur Autour delle une trentaine de journalistes la regarde un drapeau celui du Tibet A deux pas une chanteuse du « pays » du DalaïLama en tenue traditionnelle clot la ceremonie douverture de la troisieme ConIFA Football World Cup plus proche de la performance en centre culturel que des grands spectacles organises par la FIFA Au cSur de lenceinte de 5 000 places bordee de chênes et de publicites pour les pompes funebres du coin pas de demonstrations pyrotechniques ou stars de la pop mondiale Ici tout est a taille reduite comme les identites representees au sein de la Confederation des associations de football independantes qui cherchent lespace pour
Au terme du match entre la selection du Barawa ville portuaire au sud de la Somalie et le Tamoul Eelam territoire separatiste situe au nordest du Sri Lanka le capitaine barawani Omar Sufi envoie des bises en tribune Son equipe vient de 40 Les fans repondent : « we love you Omar » Ici ils ne sont pas des milliers mais seulement six et tous membres de sa famille Sufi est aussi que sil venait de devant un stade comble Affame en cette periode de ramadan il se precipite vers lassiette de riz jaune quon lui tend Alors son frere Yusuf prend sa place « Omar est ne a ici mais pas moi expliquetil Nous sommes arrives a Londres en 1992 Si je netais pas venu je serai mort »
Une premiere edition chez les Samis
Des la fin des rencontres le football fait place aux enjeux derriere la presence des participants Pour les seize equipes il sagit avant tout de lexistence de leur communaute au monde Parmi les membres de la ConIFA les combats sont aussi divers que les histoires des personnages qui les defendent Toutes comportent neanmoins un chapitre lie a une identite complexe Fondateur de la ConiFA en 2013 PerAnders Blind desormais president est par exemple ne a Sulitjelma sur les bords du lac Langvatnet au nord de la Norvege
Entoure de glaciers le petit village se situe en Sápmi la terre du peuple sami qui setend jusqua la Russie en passant par la Finlande et la Suede où se tenait en 2014 la premiere coupe du monde ConIFA Chez les Blind on est eleveurs de rennes depuis des generations Ancien arbitre dans le championnat suedois PerAnders est le premier a la tradition familiale Au soussol de lhotel des joueurs le president crâne chauve bras muscles serres dans un polo blanc et vert relate : « Mon pere ma tres vite dit : quoi que tu fasses dans la vie tu ne seras pas eleveur de rennes Il voulait une vie meilleure pour moi »
Le patriarche veut son fils de sa propre identite « Les Samis ont toujours ete abuses par le gouvernement suedois Jusque dans les annees 1970 il existait un institut de biologie raciale Ils prenaient des Samis et fracassaient leur crâne leurs dents » Des ses trois ans PerAnders est envoye en Suede avec sa mere Les Blind denaturent leur enfant larrachent a son identite afin de lui la chance dune existence « normale » Radicale sa famille refuse quil apprenne la langue same
Enfant PerAnders souffre quand même « Blind est un nom typiquement sami enseignetil A lecole a cause de ça on me frappait Souvent je rentrais avec mes habits dechires et du sang partout » Et les consequences de la decision paternelle sont durables « Je ne me suis jamais senti chez moi nulle part reveletil la tête baissee Je suis ne en Norvege mais je ne suis pas Norvegien Je vis en Suede mais je ny suis pas ne Je suis Sami jai un renne mais je ne parle pas la langue Jai une connexion avec tous ces endroits mais je ne suis de nulle part »
Ce dechirement identitaire est selon lui sa force motrice la raison pour laquelle il travaille avec tant de passion pour que les identites et cultures de tout le monde soient respectees Son engagement est tel quil raconte sêtre prive de nourriture pour de sa poche la premiere edition Grâce a son passe le president peut des liens avec les ressortissants dautres peuples opprimes ou nies a travers le monde sans pour autant les revendications de tous Alors que des parlements samis existent en Norvege en Suede et en Finlande le president ne prone pas une quelconque reunification En Sápmi il nexiste pas de mouvement autonomiste En revanche dautres participants au tournoi ont des revendications plus tranchees
Des tigres et des menaces
Face a Barawa se dresse la selection tamoule En sari turquoise alors que son hymne retentit Sanju Ganesan porte le drapeau des Tigres tamouls le groupe arme defait par larmee sri lankaise en 2009 au bout de trentetrois ans de guerre civile A lâge de sept ans en 2001 Sanju et sa mere fuyaient leur petit village pres de Jaffna ville connue pour son soutien a la lutte armee « Les intimidations et discriminations de larmee srilankaise etaient tres dures surtout envers les femmes » commente la jeune femme leadeuse de lassociation des jeunes Tamouls du Royaume Uni qui supporte toujours lindependance Neanmoins Ganesan assure que la participation des Tamouls est plus culturelle que politique « Au Sri Lanka notre identite est totalement detruite assenetelle Mes enfants nauront peutêtre jamais loccasion dy aller Alors il faut des alternatives pour notre identite ici » Sans surprise le Sri Lanka ne goûte que tres peu a la participation des Tamouls mais ne sest plaint qua travers une lettre adressee au president Blind Dautres Etats souverains sont alles plus loin
Joues rasees de pres et costume gris cintre Aksel Bellabbaci est le secretaire dEtat aux sports du gouvernement provisoire kabyle en exil Il vit a Paris mais est ne dans un village pres de TiziOuzou capitale informelle a cent kilometres a lest dAlger Militant depuis ladolescence il a fonde la selection kabyle en 2014 « Ce qui est dur cest de tout dans lombre souritil en tirant sur sa cigarette Lambassade dAlgerie en France a convoque certains de nos joueurs En Algerie un deux a reçu des menaces Il avait envie de mais il a eu peur »
Bellabbacci ne blâme pas son joueur peu habitue a des methodes que lui connaît bien « Depuis le debarquement des Arabes au nord de lAfrique ils ont toujours essaye deffacer les identites assuretil Ce qui les gêne dans ce projet cest quon transporte notre cause a letranger » Ironie du sort lAlgerie soutient le Front Polisario mouvement de liberation du Sahara occidental qui a aussi participe aux eliminatoires de la ConIFA « Mais cest pour leurs interêts siffletil Ils veulent le Maroc qui nous a defendus a lONU Aucun pays ne nous defend pour le plaisir » En revanche Bellabbaci peut sur dautres soutiens : ceux des nations sans Etat et des membres de la ConIFA « Si vous faites laumone dans la rue generalement cest les pauvres qui vous donneront » philosophetil
« Freedom to play football »
La maxime de la ConIFA est simple au football comme liberte fondamentale En defendant le droit pour onze joueurs de le maillot dun territoire non reconnu lorganisation leur donne le droit dexister Enfin rassasie le capitaine barawani resume : « Avant le tournoi qui savait ce quetait Barawa
On nessaie pas de un pays On veut juste que les gens sachent quon existe » Pour cette edition trois cent cinquante medias ont ete accredites Pour la plupart des communautes representees il sagit de la plus grande couverture jamais obtenue
Une couverture qui de surcroît nest que positive « Cela nous donne une caisse de resonance reprend Yusuf le frere Lan dernier on a joue un match de charite qui a rapporte assez pour un mois de nourriture au pays Maintenant on pourra peutêtre plus » En avril cinq jeunes etaient tues dans un stade de Barawa dans une explosion attribuee aux Chabab Pourtant le sage Sufi reste optimiste « Je dis toujours que tout a un debut et une fin Avec le temps ça aussi ça prendra fin » La competition elle se termine le 10 juin Apres son 40 Barawa a fini premier de son groupe devant lîle de Man a la surprise generale Prochain rendezvous : Chypre Nord en quarts de finale